Article extrait et adapté du livre “Ne Cessez pas d’être gentils, soyez forts”
Certains comportements nous énervent plus que tout. Ils ont cette capacité d’éveiller en nous ces parties de nous-mêmes que nous avons enfouies ou ces attitudes que nous ne nous sommes pas autorisées à vivre. Lorsqu’elles émergent, nous nous sentons en colère ou triste ou parfois même honteux sans vraiment savoir pourquoi. Le réflexe classique dans ces situations consiste à chercher l’ennemi à combattre à l’extérieur de nous-mêmes.
Romuald est artiste-peintre. Il vit seul et est convaincu que son désordre est une condition essentielle de sa créativité. Le jour où il rencontre Sophie qui comme lui vit de son art, c’est le coup de foudre. Tout les rassemble. Très vite ils décident de vivre ensemble. Mais très vite le désordre de Sophie l’irrite. Il ne retrouve plus ses affaires dans ce nouveau désordre et cela donne lieu à de fréquentes disputes. En dialoguant après une dispute particulièrement intense, Romuald réalise qu’à travers le désordre de Sophie, c’est son propre désordre qui l’irrite et à quel point ce qu’il appelait « son côté créatif » peut être désagréable. Cette prise de conscience lui donnera l’énergie de modifier son comportement et ses habitudes.
L’émergence de ces parties éveillées par la présence de l’autre provoque l’extériorisation d’un combat intérieur. Nous ouvrons un nouveau front. Le combat est perdu d’avance car nous nous trompons d’adversaire. Le couple est le terrain de prédilection de ce genre de malentendu. Certains couples évoquent plus les champs de bataille que des terres d’amour et de tendresse. Vivre à deux, dans l’intimité et au quotidien, multiplie les opportunités d’éveiller ces parties de nous-mêmes que nous avons laissées en friche. Lorsque cela se passe, des émotions de peur, de passion, de colère parfois très intenses se manifestent. Nous nous sentons surpris dans notre vulnérabilité par la personne la plus proche de nous qui fait émerger des aspects de nous-mêmes que nous voulions cacher. Nous avons la sensation que quelque chose ne va pas chez nous. Cette sensation est amplifiée par la voix de notre critique interne qui accentue un sentiment de dévalorisation. Nous basculons alors en mode défensif et cherchons à neutraliser la source de la menace en la portant sur notre partenaire. Nous extériorisons le combat intérieur.
Nous voulons que l’autre voie notre vraie nature, notre beauté intrinsèque, mais le problème est qu’il nous est parfois difficile d’apprécier cette beauté fondamentale qui est en nous. L’image que nous avons de nous-mêmes est une fausse identité, une façade que l’on voudrait que tous admirent. Si même cela arrive, cela ne nous satisfait pas. Nous voulons que notre partenaire voie cette beauté intrinsèque qui est en nous et qui dépasse toute notion de bon ou de mauvais. Tant que notre partenaire voit notre belle façade, tout semble aller pour le mieux. Mais au fur et à mesure que notre intimité s’approfondit, les belles apparences se craquèlent. Ce que nous voulions garder secret se révèle au grand jour créant ainsi son cortège d’émotions désagréables. Et nos réactions de défense ont de manière paradoxale, tendance à accentuer les aspects négatifs que nous voulons masquer. Une personne qui a peur d’être abandonnée pourra ainsi devenir agressive et provoquer l’abandon qu’elle redoute. Une personne qui croit que ses besoins ne seront jamais satisfaits les masquera s’assurant ainsi qu’ils ne seront jamais comblés et en fera le reproche à son partenaire. Nous créons ainsi notre propre malheur, mais nous l’attribuons à l’autre. Tant que ce processus se répète, nous ne pouvons pas progresser.
La vie nous offre de multiples occasions de nous sentir impuissants, de ne pas maîtriser la situation et le couple en est un bel exemple. Maintenir cette image de contrôle est assez épuisant à la longue.
La solution pour éviter de partir en croisade à l’extérieur de nous et faire de son partenaire la source de la menace consiste à inverser la logique d’auto-rejet. En rejetant une émotion négative qui émerge du plus profond de nous, nous la transformons en alien, en étranger. Nous lui donnons une consistance propre, un statut d’ennemi. N’ayant jamais appris à accueillir ces sentiments négatifs avec auto-empathie, nous sonnons l’alerte, nous affutons nos armes et surtout, nous portons le combat à l’extérieur de nous, à savoir avec notre partenaire.
Une solution pour sortir de cette boucle infernale et épuisante consiste à prendre la responsabilité de notre expérience. Plutôt que d’accuser l’autre d’être responsable de mon émotion (« Pourquoi me fais-tu me sentir aussi mal ? ») et d’essayer de le changer, nous transformons notre regard sur notre expérience en en prenant la responsabilité, c’est-à-dire en prenant à notre compte la réponse que nous lui apportons.
La rencontre avec l’autre devient ainsi une opportunité d’évolution[1], de travailler sur ce que Jung appelait « notre ombre ».
[1] Cette opportunité unique ne peut se passer que dans des conditions particulières que nous évoquerons.